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Xavier du Bellay

Vers une école
de la réussite

Le numérique et les neurosciences
au service de la transmission

La liberté commence où l’ignorance finit.

Victor Hugo

Table des matières

Introduction

« Mais qu’êtes-vous venu faire là-dedans ? »

Rêvons un peu

Première Partie
État des lieux

Chapitre 1
Tableau (trop) noir

Constat d’échec

Crise de défiance

Chapitre 2
Réforme du collège 2016 : bas les masques !

La baisse des heures d’enseignement classique

Comment dit-on « usine à gaz » en latin ?

Grosse menace sur l’allemand

Des économies sur le dos des élèves ?

Une réforme sur le dos des professeurs ?

Et le Collège dans tout cela ?

Chapitre 3
Vers un système éducatif à sept vitesses

Vers un système éducatif encore plus inégalitaire

Vieille querelle

Retour aux sources

L’inégalité principale tient dans le contenu des connaissances enseignées

Chapitre 4
Les professeurs,
ces grands incompris du ministère

Le plus beau métier du monde

Un profond mal-être

Dévalorisation du statut et du diplôme

Des professeurs héroïques, mais souvent seuls

Chapitre 5
Les parents,
ces grands ignorés du ministère

Les parents mal informés
de la réalité éducative française

Les parents bien souvent incapables
d’aider leurs collégiens

Une inquiétude latente

Le grand désarroi des troubles de l’apprentissage

Parents d’enfants précoces

Deuxième Partie
Garder en tête l’objectif de l’école

Chapitre 6
Être élève est un métier

Chapitre 7
Hériter d’une culture commune

Chapitre 8
Permettre aux élèves
de devenir libres et responsables

Ouverture progressive

Pas de liberté réelle sans vérité

Pour une éducation à la beauté

Chapitre 9
De l’importance de la grammaire

La grammaire, c’est la vie !

Une grammaire approximative peut avoir
des conséquences désastreuses

Le drame français

Chapitre 10
De l’utilité d’enseigner
les matières « inutiles »

La philosophie a-t-elle un avenir ?

Plaidoyer pour le latin

Troisième Partie
La révolution numérique
dans le monde de l’éducation

Chapitre 11
À l’aube d’un monde nouveau

La révolution numérique modifie en profondeur toute notre vie

Pour une éducation au numérique

Chapitre 12
Éducation et numérique

De la difficulté de se positionner

La révolution des cours en ligne

Chapitre 13
Cinq pièges pédagogiques à éviter

Piège n°1 : utiliser le numérique
alors que cela n’est pas nécessaire

Piège n°2 : laisser l’élève livré à lui-même

Piège n°3 : utiliser des contenus ne permettant pas
à l’élève de faire de réels progrès

Piège n°4 : utiliser des informations
organisées en réseau

Piège n°5 : utiliser le numérique à l’école primaire sans discernement

Quatrième Partie
L’apport décisif des neurosciences

Chapitre 14
De quoi parle-t-on au juste ?

Deux cerveaux pour une seule tête !

Chapitre 15
Une tête bien faite, parce que bien pleine !

Bien distinguer la mémoire de travail de la mémoire à long terme

Plus on a appris de connaissances, plus on en acquiert facilement de nouvelles

Chapitre 16
D’autres découvertes étonnantes

Le cerveau n’est pas capable de faire plusieurs choses en même temps

Le cerveau des enfants « digital native » fonctionne comme celui de leurs parents

Apprendre à lire à un enfant est une science

Le retour en grâce du « par cœur »

Le drame des neuroscientifiques en France

Cinquième Partie
Une nouvelle pédagogie est possible !

Chapitre 17
Associer les cultures du livre et du numérique

Des professeurs au cœur du dispositif

Des supports numériques et imprimés

Une organisation linéaire
de la transmission des savoirs

Une progression structurée

Chapitre 18
Redonner confiance à l’élève

Comprendre pour gagner en confiance

Confiance en soi et motivation sont liées

Progrès scolaires

Effets psychologiques constatés

Chapitre 19
Individualiser les parcours d’apprentissage

L’effet rétroviseur

À chacun son rythme !

De nouvelles pistes pour lutter
contre les troubles d’apprentissage

Chapitre 20
Réduire les inégalités

Conclusion

Introduction

Pour écrire un livre sur l’école, j’ai un immense avantage et un handicap certain : je ne suis pas professeur, pas même fonctionnaire du ministère. Simplement entrepreneur.

En lançant mes cours en ligne pour collégiens, je me suis beaucoup documenté sur ce monde de l’éducation que j’avais quitté dix ans plus tôt, à la fin de mes études. Et je suis allé de découvertes en étonnements.

Au fil de mon aventure entrepreneuriale, j’ai passé beaucoup de temps à écouter avec attention et intérêt des professeurs, des chefs d’établissements publics et privés – sous contrat et hors contrat – de toute la France, dans l’enseignement général comme dans les filières techniques, des parents d’élèves, des associations de parents, des inspecteurs généraux, des acteurs du monde numérique créant des solutions pour l’éducation, des orthophonistes, des psychologues scolaires, des journalistes spécialisés, des neuroscientifiques, des pédagogues de différents horizons, des membres de think tanks, des philosophes…

Allons droit au but : le principal problème de l’école française n’est pas le collège, mais bien l’enseignement à l’école primaire. C’est là que se créent et se constatent les premières inégalités. Une proportion importante d’enfants entrant au collège ne sait tout simplement pas lire, ni écrire, ni compter.

Ces inégalités sont scandaleuses parce qu’elles ne sont presque jamais corrigées durant les années que les élèves passent au collège. Elles sont même aggravées. Rares sont les établissements qui ont, aujourd’hui, en France, les moyens financiers et humains de prendre en charge de façon sérieuse les élèves n’ayant pas acquis les fondamentaux à l’école primaire. Les élèves qui n’ont pas le niveau en rentrant au collège ont un seul destin, à la manière des héros grecs dans les tragédies : rester mauvais.

Aucune réforme récente n’a réussi à enrayer cette tendance. Pire, la réforme du collège 2016 porte le coup de grâce à ce qui fonctionnait encore dans le collège français, déjà fortement affaibli au cours des trente dernières années. La crise de la transmission des savoirs provient d’abord d’une vision idéologique du rôle de l’école.

Pourtant l’échec du système scolaire n’est pas une fatalité.

Ce livre est une invitation à dépasser les vieilles querelles, en prenant en considération les dernières avancées de la science cognitive et de la révolution numérique. Elles constituent en effet un puissant ferment de renouveau. Un nouveau monde éducatif est à notre portée. Il est tout à fait possible de recréer un ascenseur social par l’école.

Avec les Cours Griffon, nous l’avons démontré. Nos cours sont utilisés par de nombreuses familles, ainsi que par des collèges, publics comme privés. Aujourd’hui, il est possible de rendre accessible à un très grand nombre d’élèves un contenu éducatif qui était auparavant facilement qualifié d’élitiste. La lutte contre les inégalités et le décrochage scolaire peut être désormais abordée sous un autre angle.

« Mais qu’êtes-vous venu faire là-dedans ? »

Une question m’est très fréquemment posée : « Mais pourquoi êtes-vous passé du BTP à l’éducation ? » Un entrepreneur au pays des profs et des fonctionnaires ? Vous avouerez que l’idée est assez exotique. À mon sens, la bonne question serait plutôt : « Pourquoi ne vous êtes-vous pas destiné immédiatement à l’enseignement ? »

J’ai grandi à Choisy-le-Roi, ville communiste depuis 1959, qui peut s’enorgueillir d’avoir accueilli La Pompadour, Rouget de Lisle dans ses dernières années et même Hô Chi Minh, en 1968, lors des négociations de Paris qui ont ouvert la voie au règlement de la guerre du Vietnam. Une ville de la ceinture rouge. Même le curé, bonhomme sympathique, avait un style à la Karl Marx, avec son imposante barbe et ses sermons au vitriol contre les déjà célèbres « stock-options » et le casino boursier. J’ai suivi ma scolarité secondaire à l’Institution Saint-André, collège et lycée privés. J’en suis sorti en 1994, avec un bac C, mais sans mention. J’étais tellement sûr d’obtenir la « mention bien » que je n’avais révisé que mon option « tennis de table » ! S’ensuit une douloureuse classe préparatoire Maths sup au Prytanée National Militaire, vénérable institution, où l’esprit de camaraderie n’a d’égal que le côté frondeur de ses élèves.

Après une prépa HEC, j’intègre avec bonheur l’ESSEC en 1998. Voilà une école que j’affectionne particulièrement, ouverte, créative et qui ne recrute pas que des têtes de classe policées. Une école qui recherche avant tout des personnalités fortes.

Mais, comme dans toutes les écoles de commerce, l’enseignement est essentiellement technique (finance, comptabilité, marketing, ressources humaines, droit…). J’y trouve assez peu de nourriture intellectuelle sur la marche du monde et l’histoire des idées. Je décide alors de compléter ma formation à l’ESSEC par Sciences Po, que j’intègre en 2000. J’y ai sans doute d’ailleurs croisé notre ministre actuelle Najat Vallaud-Belkacem, qui en sort à ce moment-là.

Sciences Po est un monde étonnant, une sorte de laboratoire d’idées où des militants de tous bords (surtout de gauche) se côtoient dans quelques mètres carrés, autour de la fameuse « Péniche ». Un monde très franco-français dans ses débats et très international dans son public (près d’un tiers des élèves sont étrangers). De là sortent nos responsables politiques, nos journalistes vedettes, nombre d’assistants parlementaires, des piliers de think tanks, des apparatchiks de partis, mais aussi des banquiers d’affaires et des marketeurs de l’industrie agro-pétrochimique, pour beaucoup d’entre eux à l’international. Tous de brillants cerveaux dont le monde de l’éducation aurait cruellement besoin.

En 2002, c’était déjà la crise avec les suites de l’affaire Enron et l’explosion de la bulle Internet. Je décide de commencer à travailler dans l’audit financier, chez Ernst & Young. Formateur et douloureux. J’apprends beaucoup sur la gestion d’entreprise, mais j’étouffe et ne tiens que deux ans. Métro – boulot – dodo. Un badge pour entrer dans la tour de La Défense. Un badge pour sortir de l’ascenseur. Un code pour se logger sur le téléphone d’un bureau dans une staff room. Un uniforme – costume gris et cravate bleue – pour un petit soldat du privé.

Je décide alors d’explorer le monde des PME et dirige ma première société dans le BTP en tant que salarié, à vingt-sept ans. Premier contact avec la vraie vie : je découvre comment être attentif aux clients, ce que sont les devis, les marchés de travaux, le recrutement et le droit social, la gestion de la trésorerie… En 2007, je crée avec un associé un petit groupe d’entreprises dans le même secteur. En pleine crise financière, nous passons de 2 à 50 personnes en cinq ans, en démarrant avec 45 000 €. J’ai beaucoup apprécié ce secteur très varié socialement, où l’ouvrier côtoie l’architecte, où le sous-traitant côtoie le maître d’ouvrage, sortant quelques instants de son bureau feutré pour le rendez-vous de chantier.

En 2013, j’ai décidé de quitter ce monde passionnant pour un monde qui l’est tout autant : l’éducation. Ne sachant pas faire autre chose, j’ai à nouveau créé une société : les Cours Griffon. Intéressé par la révolution numérique, je me suis mis en tête de créer des cours accessibles à tous les collégiens de France grâce à Internet. Pour cela, je me suis entouré d’une équipe de professeurs aussi talentueux que motivés par mon projet.

Rêvons un peu

Et si la transmission des savoirs redevenait la priorité de notre école ? Et si le numérique, utilisé avec discernement, était une des clés du nécessaire sursaut dont le collège a tant besoin ? Et si nous trouvions enfin le moyen de rendre notre école moins inégalitaire ? Et si un élève en difficulté n’était pas condamné à le rester ?

Les centaines de collégiens qui suivent aujourd’hui nos cours en ligne sont la preuve vivante que tout cela devient possible. La renaissance du collège est en marche.

Accepter la fatalité n’a jamais été une tradition française !

Première Partie
État des lieux

Chapitre 1
Tableau (trop) noir

Ce chapitre est très court. Vous n’y apprendrez rien ; vous savez déjà tout. Si vous n’avez pas le moral, sautez-le !

Constat d’échec

Le constat est connu. Unanimement partagé. Mondialement célèbre. Le système éducatif français demeure l’un des plus inégalitaires du monde. Non seulement l’école ne permet pas aux inégalités sociales de se réduire, mais elle les creuse. Et ce fossé devient abyssal.

L’enquête PISA1 est une enquête internationale menée tous les trois ans par l’OCDE. Dans sa dernière étude, portant sur l’année 2012 et publiée en 2013, elle nous dit notamment que le système français renforce les inégalités au lieu de les corriger.

Chaque année, plus de 140 000 jeunes quittent le système scolaire sans diplôme2. Soit 12 % d’une classe d’âge. Ce chiffre est admis. Tout le monde le commente et se lamente. Mais, dans le fond, tout le monde y est habitué. Cela fait presque partie du paysage, comme une exception culturelle française de plus.

Mais quelle organisation (privée) accepterait que 12 % de ses projets soient des échecs ? Quelle usine mettrait au rebut 12 % de sa production ?

Tandis que 12 % des jeunes Français n’ont pas de diplôme, les 88% restants ont presque tous le baccalauréat, diplôme démonétisé, presque sans valeur, sans reconnaissance. Il sera bientôt possible de le passer sur cinq ans, en gardant ses meilleures notes !

À l’entrée en 6e, 36 % des élèves ne maîtrisent pas « les fondamentaux » de la langue française. Euphémisme pour dire qu’ils ne savent ni lire sans ânonner, ni écrire trois lignes sans fautes d’orthographe ou de grammaire. À 17 ans, ce sont 18 % des adolescents qui rencontrent des difficultés de lecture3.

On connaît moins ce phénomène que les techniciens appellent « l’innumérisme ». À l’entrée en 6e, 34 % des élèves ne maîtrisent pas « les fondamentaux » des mathématiques. J’ai même reçu des témoignages d’enfants n’ayant pas étudié la division à l’école primaire !

On a probablement atteint le point de non-retour : les universités donnent désormais des cours d’orthographe à leurs élèves. À 20 ans, retour à la case départ. Les employeurs remplissent des sacs poubelles entiers de CV truffés d’erreurs.

Le coût économique pour le pays est exorbitant. Le coût culturel et social est bien plus élevé encore, mais bien sûr plus difficile à mesurer. Chacun sent bien que l’école ne structure plus la pensée de ses élèves. La transmission des savoirs est en panne. Comme l’ascenseur social par l’école. Ceux qui ont la chance de naître dans une famille aisée, dont les parents ont fait des études, et qui habitent dans une grande métropole régionale, s’en sortiront toujours. Cela représente environ 15 % des élèves.

Pour les autres, plus difficile sera le parcours. Selon la formule de François-Xavier Bellamy, ceux qui nous gouvernent depuis quarante ans ont créé une génération de « déshérités4 ». Notre héritage culturel, matrice du génie français, a été liquidé. Combien de bacheliers peuvent nous parler du vieux Corneille ou de Pascal ? Combien d’élèves de terminale pourraient remettre dans l’ordre, avec assurance et sans peur de se tromper, Clovis, Charlemagne, Louis IX, Henri IV, Louis XIII, Napoléon, Thiers et Clemenceau (pour ne citer qu’eux) ? De réforme en réforme, l’école a mis ses élèves en échec, dans la nasse, créant de facto un système de reproduction sociale, pourtant dénoncé par les inspirateurs desdites réformes.

Crise de défiance

La crise de défiance des parents envers l’école est profonde et grave. Un sentiment d’insécurité scolaire est même en train de s’installer durablement. Les parents ne croient plus en la capacité de l’école républicaine d’emmener leurs enfants au plus haut niveau. Le temps où un fils d’ouvrier pouvait accéder à l’École Normale Supérieure est révolu, sauf cas extraordinaire.

Les professeurs eux-mêmes, et en particulier ceux du collège, ne se retrouvent plus dans les instructions officielles reçues. Ils avaient embrassé la carrière pour avoir le plus beau métier du monde, celui de transmettre un savoir à un enfant. On leur demande désormais de laisser les élèves produire leurs savoirs dans des enseignements interdisciplinaires. C’est le retour en force des pédagogies de projet, dont tout le monde sait, sauf quelques idéologues en fin de course, qu’elles ne sont pas la solution aux problèmes actuels du collège.

En résumé, c’est l’inégalité à tous les étages : inégalités familiales, sociales, financières, culturelles et géographiques. Les listes d’attente pour entrer dans les collèges et lycées privés n’ont jamais été aussi longues.

Voilà d’où nous partons. Le constat est amer et les causes sont connues. Alors, que faire ? C’est bien la seule question qui m’intéresse vraiment.


1 PISA pour « Program for International Student Assessment » en anglais, et pour « Programme international pour le suivi des acquis des élèves » en français.

2 Source ministère de l’Éducation nationale – http://media.education.gouv.fr

3 En 2014, 4,1 % des participants à la Journée Défense et Citoyenneté (JDC) rencontrent des difficultés sévères en lecture (illettrisme), 5,5% des participants ont de très faibles capacités de lecture, 8,6% sont des lecteurs médiocres. 81,8 % sont des lecteurs efficaces. Sources : ministère de la défense - DSN, MENESR-DEPP – note d’information n°16 – mai 2015

4 Les déshérités ou l’urgence de transmettre, François-Xavier Bellamy, Plon, 2014